« Eh, t’es au courant ? Y’a un nouveau, il s’appelle Ludwig. »
« Et alors ? »
Il en avait entendu parler. Une bonne dizaine de fois, déjà. Il avait fallu trois jours, trois longues journées pour que le soudain intérêt suscité par ce nouvel arrivant s’essouffle, et qu’on lui foute la paix. Il s’appelait Ludwig ; et Ludwig n’avait aucune envie de le rencontrer, et encore moins de le connaître. Son prénom, identique au sien, l’indifférait ; il était sans doute plus allemand que lui ne l’avait jamais été, et la raison de son transfert à Poudlard ne l’intéressait pas. C’était dans ses habitudes. C’était dans sa nature. Il n’était pas concerné. Il ne se
sentait pas concerné. Un prénom identique.
Et alors ? Fallait-il qu’il cesse de respirer ? C’était sans doute inconcevable pour les autres, quand l’internat était devenu monotone au point de ne plus pouvoir trouver à se distraire autrement que par une arrivée impromptue, en cours d’année, d’un élève qui avait cette particularité de porter le même prénom que lui, détonnant dans l’anglicisme prononcé des leurs. Lui aussi avait eu son heure de gloire par cette originalité lors de sa première rentrée, il y a neuf ans. L’autre allait en bénéficier plus longtemps – doublement.
Alors non, en dépit du bon sens dont semblait devoir se doter tout bon élève de Poudlard, Ludwig n’avait jamais cherché à connaître cet alter-ego qu’on lui prêtait. Certains en riaient, parce que sa réaction était évidente ; pour d’autres, elle était inconcevable. Non, il n’avait cherché à connaître cet alter-ego qu’on lui prêtait.
Il apprit que l’autre, lui, le cherchait. Il apprit qu’il posait des questions à tout élève de Serdaigle, et qu’aux réponses qu’il entendait, il n’était pas évident qu’un jour il puisse le reconnaître. Ludwig s’était pris au jeu, finalement ; de connivence avec quelques relations de Serdaigle, il s’était arrangé pour que ceux qui n’avaient qu’une idée vague de qui il était inventent des détails rocambolesques tandis que les autres se contredisaient suffisamment subtilement pour ne laisser paraître aucune manigance derrière quelques évidentes divagations. Lui-même l’avait rencontré, sans que l’autre ne se rende compte que celui qu’il cherchait avait été un jour sous son nez, lui faisant croire à une autre identité. Un jeu. C’était peut-être cruel ; sans doute. Il ignorait la raison de sa recherche effrénée ; effrénée, car même si actuellement, l’autre ne pouvait pas avoir une idée même vague de lui sans y inclure un géant, un troll et hypothétiquement une sirène, il continuait à poser des questions, jusque dans les autres maisons. Bientôt, les Gryffondor furent à leur tour interrogés, et l’étau se resserrait.
Il fallait bien que le Château entier se soit prêté au jeu pour que Ludwig échappe à son alter-ego pendant plus d’une semaine.
Il leva les yeux, avisa la crinière rousse d’Aubépine par-dessus son livre et fronça les sourcils. Il connaissait l’expression de son visage : elle avait fait une découverte croustillante qui n’allait pas forcément lui plaire – question d’expérience. Il eut tout juste le temps de se redresser et de s’enfoncer dans son lit pour lui faire une place avant qu’elle ne s’y installe d’office, un grand sourire aux lèvres et le regard pétillant. Ludwig ne décrocha pas un mot, non seulement parce qu’il n’avait pas envie de connaître nécessairement la dernière lubie de la jeune fille – étant donné que l’avant-dernière était sa fascination mortelle pour la Licorne noire, sa méfiance à l’égard de ses obsessions s’était sensiblement accrue – mais surtout parce qu’il n’avait jamais vraiment l’occasion d’en placer une lorsqu’elle arborait cette expression. Elle était encore plus prévisible que sa sœur.
« Ludwig t’attends en bas, il te cherchait. »
Il ne réagit pas immédiatement, si bien qu’Aubépine crut bon de rajouter qu’il s’agissait de l’autre Ludwig, tu sais, le nouveau, c’est quoi son nom déjà, ah oui Rosenwald. Il hocha vaguement la tête, vaguement attentif à ce qu’elle ajoutait de nouveau, où il était question d’une obligation à sa charge de lui faire un compte-rendu détaillé de ce qui allait être dit pendant leur conversation ; il n’avait pas envie. Ca l’avait amusé, comme un gamin, de le regarder faire ses investigations, mais cela ne signifiait pas pour autant que son désintérêt à son endroit s’était envolé. Et là, maintenant, tout de suite, abandonner son livre était une idée qui ne lui plaisait pas particulièrement.
Quelque part, pourtant, ce qui devait être un instinct purement Gryffondor lui fit remarquer qu’il devait bien ça à l’autre, et qu’y aller ne l’engageait à rien. D’autant qu’il était doué pour s’esquiver – des années de pratique. Il finirait bien par trouver un prétexte pour regagner son dortoir et reprendre sa lecture. Si on ajoutait à cela Aubépine qui lui en voudrait s’il n’y allait pas, parce qu’il était, selon ses dires, visiblement désespéré et que ça lui ferait sans doute de la peine s’il restait reclus dans sa tour d’ivoire, Ludwig n’avait pas vraiment le choix.
Lorsqu’il sentit qu’Aubépine était sur le point d’avoir recours à la menace, ayant épuisé tous ses autres arguments, il capitula. Il déposa son livre sur sa table de chevet et attrapa son pull en grosse mailles de laine fétiche, sa baguette magique et son iPod. Gestes mécaniques. Aubépine l’avait précédée, de toute évidence ravie par la situation, et quitta le dortoir en lui arrachant la promesse, surfaite, qu’il devrait lui raconter ce qu’il avait caché comme secret de famille pour que l’autre le recherche avec tant d’ardeur. Ludwig tiqua.
Secret de famille ? Tout d’un coup, l’idée lui parut moins bonne.
L’autre l’attendait. Son regard fut la première chose qu’il vit lorsque le tableau de la Grosse dame pivota pour le laisser passer. Il y lisait l’appréhension, l’expectative, et une pointe de surprise bien vite frustrée lorsqu’il le reconnut, l’un des types qui était venu lui parler de Ludwig. De lui-même. Il s’avança, les mains rentrées dans les manches trop longues de son pull, les bras croisés contre sa poitrine – un réflexe purement défensif. En dépit de ce qu’il pouvait bien laisser paraître, Ludwig n’était pas tranquille. N’était
plus tranquille. Un mot, un seul mot avait brisé tout ce qu’il y avait de distrayant dans l’ambition de l’autre –
famille. Comme un vieil écho sourd, ce mot le hantait.
Famille.
Ludwig. Il s’appelait Ludwig. Les autres disaient qu’il était natif d’Allemagne, qu’il venait de Durmstrang ; et si l’on ne croyait pas aux coïncidences, son arrivée marquée de ses premières questions sur lui, Ludwig Lancaster, n’avait rien d’anodin. Et Ludwig ne croyait pas aux coïncidences.
« T’es du genre persévérant », commença-t-il alors que le silence s’éternisait entre eux. « Je ne sais pas trop comment prendre ta… recherche. »
Il le dévisagea ; il avait été élevé selon des principes qu’il ne connaissait pas. On lui avait dépeint un chevalier, et il ne pouvait pas démentir son image alors qu’il se tenait devant lui, la dignité incrustée dans sa chair.
« Je suis là, maintenant. Et alors ? »
Un frisson glacé dégringola son échine ; et il ne le devait pas du froid. Il n’avait jamais été doué en Divination, mais étrangement, à cet instant, il avait un étrange pressentiment qui ne lui augurait rien de bon.
- Spoiler:
Couleur : darkcyan.