Un mois.

Un mois que j'ai cru voir périr Aubépine sous l'attaque de cette sombre licorne à Beauxbâtons – un mois que je regarde ma fille dépérir, de loin, blessée dans son corps autant que dans son âme. Je me suis tenue loin d'elle – je m'étais juré de ne plus intervenir dans sa vie, mais c'est dur, Merlin – tellement dur, de vivre près d'elle, de la voir marcher et parler sans pouvoir la toucher. Je me souviens de cette nuit obscure d'octobre, où j'avais cédé à un instant de faiblesse dans mon bureau, je me souviens de ces larmes, du poids de sa tête sur mon épaule alors que je la serrais contre moi à l'en étouffer. Elle est une part de moi – et même si je me satisfais de la voir vivre en l'observant de loin, la peine n'est jamais bien loin.

Je regrette mes choix.

Moi, la toute-puissante directrice de Beauxbâtons, respectée et reconnue il y a encore un an, je regrette les choix qui ont façonné ma vie. Je regrette d'avoir abandonné ce bébé que j'ai aimé depuis son premier souffle, depuis le moment où elle a ouvert ses yeux sur le monde. Elle a grandi sans moi, j'ai vieilli sans elle – elle avait ses parents adoptifs pour la choyer, mais moi je n'avais personne pour combler ce vide immense dans ma vie là où elle seule avait la légitimité de se trouver. Gaïa, peut-être, avec ses yeux sombres et ses tourments, était la seule à s'en être quelque peu approchée. Je regrette – je regrette, tellement. Je regrette d'avoir laissé l'Organisation Secrète me voler mon école, brimer mes élèves, tuer la lumière. Je regrette de leur avoir laissé le champ libre, lâchement – j'aurais dû prévenir Matvei de ce chantage que l'on me faisait, lui demander de mettre notre fille en sécurité, et me battre avec toutes les armes en ma possession pour empêcher leur mainmise sur Beauxbâtons. Je regrette, oui – je regrette les coups, je regrette les larmes, je regrette la mort et cette solennelle rangée de tombes blanches sous le soleil. Je regrette d'avoir fui l'Académie. Ce qu'Amadeus m'a appris sur les conditions d'exercice de mon successeur me brise le cœur, et toute cette sainte indignation n'aurait pas eu lieu d'être si j'étais restée pour me battre et défendre le bien-être de ces petits confiés à ma tutelle.

L'échec me laisse dans la bouche un goût amer.

J'ai besoin de prendre l'air.

En cette fin d'après-midi, c'est vers la tour d'Astronomie que je dirige mes pas. A cette heure, un soir sans cours, elle est sûrement déserte, et je pourrai y ruminer à l'aise mes sombres pensées. La remise en question est difficile : j'ai du mal à équilibrer le souci que me cause Aubépine dépérissant et les nouvelles préoccupantes apportées par Amadeus au sujet de la dictature établie par Virgile Rubens à ma succession. Un souffle de vent m'accueille à mon arrivée sur le balcon – et je n'y suis pas seule. Dans la lune montante, je reconnais les mèches blondes de ma fille, et je ne comprends pas – où est passée la malade déclinante, l'ombre qu'elle était devenue ? Est-ce bien elle qui rayonne d'un espoir contenu et d'un rêve esquissé ? Interdite, je n'ose bouger. J'ai bien peur de l'avoir réveillée, et je ne tiens pas à apporter ici mes tourments alors qu'elle semble enfin avoir repris le dessus sur les siens. Je devrais détourner mes pas, m'en aller, la laisser – mais je ne peux m'empêcher de la dévorer des yeux, avidement, baignant mon âme inquiète du spectacle de ses joues à nouveau colorées.

Ma toute petite.

J'aimerais tellement, tellement ! Que mon choix ait été différent.