Lou vagabondait dans les rues enneigées de Pré-au-Lard, indifférente à la population qui se pressait autour d’elle. Emmitouflée dans un manteau de laine un peu passé par les années et plus vraiment à sa taille, elle se dirigeait droit vers Honeydukes, appréhendant déjà le moment où elle devrait pousser la porte de la confiserie et affronter ces millions de bonbons au parfum écœurant qu’elle avait toujours rêvé de jeter au fond d’une poubelle. Lou détestait les sucreries, c’était de notoriété commune. Elle n’aurait pas vraiment su dire ce qui la dégoûtait autant dans ces petits tas de sucre de toutes les couleurs, mais elle n’avait jamais été très friande d’eux. Certes, leur goût n’était pas si désagréable, mais leur texture moelleuse et leur douceur ne lui plaisait pas. Cependant, aujourd’hui, ses parents l’avaient chargée de leur ramener un sachet de fondants du chaudron de Honeydukes, « parce que si tu ne bouges pas de là, tu vas finir par fusionner avec le canapé », et elle avait été contrainte de s’exécuter, malgré ses vives protestations et ses grognements quelque peu bestiaux.

Les Moriarty vivaient à Pré-au-Lard depuis une myriade d’années, avant même que Lou ne soit née, et ils avaient leurs habitudes. Les fondants du chaudron au dessert, le samedi midi, étaient un rituel qu’ils avaient instauré dès leur installation, et Lou était bien obligée de s’y soumettre. Aussi se dirigeait-elle à Honeydukes à grandes foulées, des Mornilles cliquetant gaiement dans ses poches et les mains rendues violettes par le froid mordant. La neige tourbillonnait dans le vent, se déposant en grosses pellicules glacées sur ses cheveux blond foncé, et des larmes de froid perlaient sur ses cils, l’aveuglant à moitié –sans compter son nez qui coulait sans discontinuité, et le fait que, malgré ses bottes fourrées, elle ne sentait plus ses doigts de pied. Vive les vacances d’hiver. Elle grommelait toute seule contre ce temps exaspérant qui n’en finissait plus, sans faire attention au fait que, si elle n’avait pas eu un visage si enfantin, on aurait aisément la prendre pour une petite grand-mère, pliée en deux comme elle l’était et marmonnant toute seule.


Soudain, il lui sembla entendre un son de trompette, suivi de battements de tambour. Elle s’arrêta net et leva le visage, intriguée.


C’était un homme, un sorcier, dont la robe en tissu beige semblait de très bonne qualité –sans compter son large couvre-chef orné d’une plume. Il croisait les bras en affichant un air supérieur absolument exaspérant, juché sur un… wow ! Etait-ce vraiment un dragon ? L’animal avait des écailles grises, et son museau était ceint d’un long morceau de cuir, probablement pour l’empêcher de cracher des flammes dévastatrices.


Autour de ce sorcier qui devait être un noble –probablement un Sang-Pur- se pressaient quelques créatures d’une beauté saisissante, toutes dotées d’une longue chevelure d’un noir de jais et pourvue d’yeux bleu saphir du plus bel effet. Lou comprit sans trop de mal qu’il s’agissait de Vélanes, occupées à éventer l’homme à l’aide de grandes plumes d’hippogriffe.


Devant le dragon chantait un autre homme. Du moins, c’est ce que crut Lou, mais en voyant les multiples métamorphoses qui l’agitaient, elle en conclut que c’était un Métamorphomage, et probablement un puissant sorcier.


Le dragon avançait dans les rues de Pré-au-Lard, et les gens s’arrêtait sur son passage et s’inclinaient avec respect.


« Qui c’est, ce mec ? » s’étonna Lou en direction d’un homme, accroupi à côté d’elle et la tête penchée respectueusement vers cette étrange troupe.

« Un grand sorcier, mademoiselle ! Il a débarrassé toute l’Arabie de terribles voleurs qui terrorisaient tant leurs habitants depuis quelques temps, apportant avec lui paix et prospérité ! Il est très reconnu dans tout le Moyen-Orient. Aujourd’hui, il est venu jusqu’à Pré-au-Lard pour retrouver sa fiancée qui l’attendait ici. »

« Génial. Il a fait tout le trajet, depuis l’Arabie, pour retrouver sa morue ? Et il pouvait pas se ramener un autre jour ? Toutes les rues sont bloquées, et en plus, ils font un boucan d’enfer ! C’est qui le gars qui chante, là ? »

« Le plus fidèle ami d’Ali. C’est un Métamorphomage poète et troubadour. »

« … Trop cool. Comment je vais à Honeydukes, moi ? »

« Attendez qu’il passe. Il ne restera pas longtemps. »

Avec trente éléphants qui jouent les acrobates,
Des ours et puis des lions, au son du clairon.
Ses quarante fakirs, sa batterie de chefs,
Ses oiseaux qui crient,
Faites place, au Prince Ali !

En effet, une fille sortit d’une chaumière de Pré-au-Lard, sûrement alertée par le bruit. Avec sa longue chevelure brune et son corps à rendre folle de jalousies les lectrices de Sorcière Hebdo, il fallait bien admettre que le Prince avait de bons goûts. La fille grimpa sur le dos du dragon rejoindre son cher et tendre ; il l’enlaça et l’embrassa sous les acclamations des villageois. Pui le dragon déploya ses ailes et s’envola. Quelques instants plus tard, il avait disparu à l’horizon, laissant derrière lui un Pré-au-Lard en effervescence.

Lou leva un sourcil blasé. Décidément, il y avait de plus en plus de gens allumés à Pré-au-Lard. Haussant les épaules, elle se dirigea vers Honeydukes et s’y engouffra sans plus penser à cet étrange homme. Où étaient ces satanés fondants du chaudron ?