"we're still bleeding,,

you're the lucky ones

On pose des questions. Et on nous répond. C’est comme ça que ça se passe. C’est comme ça que ça s’est toujours passé. Il relisait ses mots pour la quatrième fois. Mélody lui écrivait toujours. Même après tout ce qu’il s’était passé. Même après ses doutes. Etait-elle toujours vivante ? Chacune de ses lettres était une réponse à sa question. Mais jamais il ne l’avait revu. Jamais il ne l’avait retrouvée. Comme si le destin faisait tout pour les séparer. C’était bête, mais il souriait. Il souriait de la savoir envie après tout ce qu’il s’était passé. Après la mort d’Ivy, l’internement d’Andy, le viol, le meurtre. Elle était la seule part de pureté dans ce monde que le nom de Silverpyre n’avait pas atteint. La seule goutte de sang qui n’avait pas été souillée par leur noirceur et par leurs crimes. Au fond, c’était sûrement mieux qu’elle soit loin de lui. Loin d’eux. Il soupira.

Il était seul. Il était toujours seul lorsqu’il lisait ses lettres. Parce que c’était les seules moments qu’il pouvait passer avec sa sœur, et il les chérissait plus que tout au monde. La vérité, c’était que tout autour de lui n’était que mensonge. De son sourire à sa famille, de ses paroles à l’air qu’il expirait. Tout. Tout sauf elle. Il n’était franc qu’avec elle. Elle connaissait ses pires secrets. Ses pires mensonges. Elle connaissait tout, et lui, il ne savait rien. Ou presque rien. Elle était sa sœur. Sa sœur invisible. Parfois, il lui arrivait de penser qu’il écrivait dans le vent, à une inconnu qui avait pris pitié de lui et qui lui répondait. Et puis, de temps à autres, elle évoquait un fait qui lui rappelait qu’elle était bien une Silverpyre. Qu’elle faisait partie de lui, autant qu’il faisait partie d’elle. Et qu’ils étaient plus paumés l’un que l’autre. Parce qu’au fond, peut-être que c’était ça la famille. Un groupe de gens paumés, qui avaient trouvé un prétexte pour se retrouver.

« Salut frangin. T'as de la lecture à ce que je vois. »

Elle le fit sursauter. Par réflexe, il retourna le parchemin avant de se tourner vers sa sœur. Andy. Elle, c’était tout à fait différent. Quoi qu’elle avait bien changé depuis son internement. Plus sociable, et certainement plus calme. Comme si elle était une autre personne. Il lui sourit.

« Frangin ? Vraiment ? »

Pause.

« Qu’est-ce que tu fais ici, t’as pas quidditch ? »

Il fronça les sourcils. Elle avait dû oublier. Après tout, elle avait eu un été rude. Plus rude que le sien. Même s’il était contente que la guerre lui ait été épargnée, il se faisait toujours du soucis pour elle. Il lui montra le fauteuil à côté du sien pour l’inviter à s’asseoir.

« C’est une lettre de Mélody. Apparemment, tout va bien à Beauxbâtons. Je pense que je ne devrais pas tarder à m’y rendre. Mais avant, il va falloir que je trouve une excuse pour sortir d’ici. Une idée ? »

Les mensonges. Encore et toujours. Ils n’épargnaient personne. Et ils transformaient leur monde. Un monde plein d’illusions, rempli de miroirs qui ne reflétaient que ce qu’ils voulaient. Comme la nouvelle identité d’Ivy. Comme la disparition de Phil. Comme tout le reste, au fond. Qui pouvait savoir, avec les Silverpyre, ce qui était vrai ? Alistair, lui, ne connaissait que ce qui étazit faux. Et ça lui suffisait largement.

"heavy as a history book can be,,

oh lord, can you save me ?

« Tu es sûr de vouloir y retourner ? J'ai peur tu sais. Même si j'ai l'impression qu'elle est toujours là, je pense qu'elle reviendra quand il le faudra. Quand elle le voudra. »

Alistair fronça les sourcils. Il avait toujours pensé que ses sœurs, les jumelles, avaient une certaine connexion. Quelque chose qui les reliait. Et qui faisait que, même s’il elles n’étaient pas ensemble, elles n’étaient jamais séparées. Il écoutait Andy parler, et il se dit, qu’au fond, elle n’avait peut-être pas tort. Ca faisait longtemps qu’ils ne s’étaient pas vus. Et forcer les choses n’arrangerait rien. Peut-être qu’elle avait peur, elle aussi, là où elle était. Mais il avait du mal à concevoir qu’elle s’éloigne autant de la famille. Il n’avait jamais compris ce qu’il s’était passé. Elle était partie du jour au lendemain. D’une seconde à l’autre, il n’avait plus de sœur. Et les explications étaient proscrites. Il savait bien qu’on lui cachait quelque chose. Au fond, peut-être que la seule raison pour laquelle il y croyait encore, c’était parce qu’il n’avait plus rien d’autre à croire.

« Comment est-ce que tu peux savoir qu'elle n'a pas changé ? »

Il sourit, sans la regarder. Il replia la lettre, consciencieusement, et l’invita à s’asseoir en face de lui. Depuis son internement, Andy avait changé. Peut-être était-ce en bien. Peut-être en mal. Il n’en savait rien. Mais il était sûr d’une chose : elle était trop jeune pour vivre tout ça. Elle était trop jeune pour la guerre. Pour le sang. Pour la mort.

Le problème, avec la famille, c’est qu’on a beau essayer de s’en défaire, elle finit toujours par revenir. Il y a des liens, comme ça, qu’on ne peut pas briser. Et Melody avait beau être à l’autre bout de l’Europe, il se fichait bien de savoir qu’elle les avait quitté. Tout ce qu’il savait, c’était que c’était sa sœur, et qu’il ne voulait pas vivre sans elle. Avait-elle changé ? Il était persuadé que les gens ne changeaient pas. Ils pouvaient évoluer. Ils pouvaient se transformer, un peu. Mais restait toujours, en eux, une certaine identité. Quelque chose d’immobile, d’immuable, qui subsistait aux aléas du temps, et qui définissait l’essence même des hommes. Et ils pouvaient toujours se cacher derrière un masque. Au fond, quand on se regarde dans le miroir, on voit toujours la même personne.

« Les gens ne changent pas. Ils évoluent, c’est tout. Tiens, regarde. »

D’un geste de sa baguette, il fit léviter un pot de terre pour l’approcher d’eux. Un sort informulé fit apparaître une graine de rose magique, puis la fit pousser et éclore.

« Tu vois, cette rose. Au départ, c’était une graine. Puis c’est devenu une pousse. Puis une fleur. C’est toujours d’une rose qu’il s’agit, mais à des stades différents d’évolution. C’est pareil avec nous. Mélody a peut-être grandi, mais c’est toujours la même. »

Ce qui est beau avec l’espoir, c’est qu’il est quasiment indestructible. Il résiste aux opinions qui le rongent. Il résiste aux autres. Il résiste au monde. Une croyance qui l’animait, sans trop savoir où ça allait le mener, ni d’où ça venait. Il avait déjà perdu Ivy dans des mensonges. Il avait déjà perdu les autres dans des crimes. Il ne renoncerait pas à Mélody. Elle était sûrement la seule personne qui n’avait pas sombré dans les ténèbres de la famille. La seule once de pureté qui restait chez les Silverpyre.

« Je suis persuadé qu’elle est là-bas. Et qu’elle attend qu’on vienne la chercher. Elle a beau avoir grandi loin de nous, elle reste toujours notre sœur. »

Un sourire malin fiché sur le visage. Il fouilla dans ses affaires pendant un bon moment avant de sortir un journal de son sac, d’un air triomphant. La gazette des sorciers montrait Matvei Sejdic qui annonçait les Jeux Olympiques sorciers, et le déroulement de la cérémonie d’ouverture à Beauxbâtons. Il lui montra le titre.

« Alors ? Tu viens avec moi, j’espère ? »

On croit aux histoires qu'on nous raconte, parce qu'elles paraissent plausibles. On croit les gens parce qu'on leur fait confiance. On s'attend peut-être à se faire berner par un étranger. Par un inconnu. Par un politicien. Mais on ne s'attend pas à se faire avoir par un membre de sa famille. Par son propre sang. Sa propre chair. Et, bien souvent, on se trompe.