La veille, elle avait reçu ce message qui disait qu'il était primordial qu'elle le retrouve au Lac, en fin de journée. Mais ce n'est que lorsqu'elle passa devant la grande horloge de Poudlard que son esprit fût frappé par une soudaine envie pressante. Elle l'avait complétement oublié et était déjà en retard. C'est donc ainsi qu'elle retroussa chemin, déposa ses affaires de cours dans les dortoirs de Gryffondor et traversa les couloirs, infestés de personnel du ministère. Cette affaire d'être de l'eau avait prit des proportions inquiétantes que Perpetua avait décidé d'ignorer. Elle marchait dans la cours centrale du collège lorsqu'une année inférieur la coupa dans ses pensées.

"Tu es bien la sœur de Roderick ?"

Une main familière serra son cœur violemment à l'annonce du prénom de son frère. Sa gorge se noua comme lorsqu'elle repoussait des sanglots tard le soir. Elle dévisagea le garçon de son regard le plus noir, et bien qu'elle aurait voulut lui dire le reste, lui dire qu'elle ne voulait plus entendre parler de lui alors que son corps tout entier tremblait de désir d'exprimer sa peine, un timide "Oui." fut tout ce qu'elle arriva à dire.

"Roderick m'avait prêté sa collection de cartes de chocogrenouilles, je me disais juste que je devrais te les donner, tu sais, comme il est... le serdaigle semblait hésitant quant au mot qu'il s'apprêtait à prononcer.

-Mort. Oui. Je sais. Merci.

Perpetua lui arracha les cartes des mains, tout en marmonnant ces derniers mots. Elle laissa l'élève seul et arpenta le chemin qui menait au lac noir. Sa respiration s'accéléra terriblement et elle ne put retenir quelques sanglots à cause de ce qu'il venait de se passer, à cause de l'envie qu'elle remuait au plus profond d'elle-même. Elle s'arrêta. Combien de fois avait-elle eu envie de hurler au monde entier qu'elle le savait, qu'il était mort, qu'il ne reviendrait pas, qu'il était parti, qu'elle était seule. Atrocement seule. D'un revers de manche elle essuya ses yeux rougis, remit une mèche de cheveux derrière son oreille et avança l'air de rien.

Puis elle le vit. Lui. La seule personne qui l'empêchait de sombrer dans une solitude imperméable, irrémédiable. Son meilleur ami. Elijah était déjà là, elle se savait. Elle était en retard. Elle prit une dernière grande bouffée d'air et s'approcha du garçon qui mourrait surement d'envie de partir. Mais à quelques mètres de l'arbre derrière lequel il était, elle se stoppa.

Le Lac. Elle l'avait complètement oublié. Ce Lac. Son Lac. Perpetua déglutit, de dégout, de peur, d'appréhension de ne pas le voir jeter des galets dans le lac noir tandis qu'elle le cherchait partout, de dégout. Oui. De dégoût. Comment avait-il pu lui faire ça ?

- Pourquoi son Lac ?

Premiers mots depuis des mois. Première fois qu'elle s'adressait à lui, derrière un arbre, le regard fixé vers l'eau sombre du Lac, ailleurs. Elle ne s'était même pas rendu compte qu'elle avait utilisé "son" au lieu de "le". Mais cela avait un sens, pour elle, pour son histoire.

Mais il ne savait pas ce qu'il venait de faire.

Lorsque Perpetua revint à elle, il était bien trop tard pour reformuler sa phrase qui avait déchiré le silence de son arrivée. Mais elle savait que quelque chose n'allait pas. Qu'elle semblait lui en vouloir, en vouloir à Elijah pour quelque chose qu'il n'avait pas fait. Mais elle avait besoin de cette confrontation.

Elijah P. Lannister a écrit:

« Demain, 17h30 au Lac noir ? J’aimerais te voir. E. »

Au plus profond d'elle-même, elle était heureuse de le voir. Mais trop de sentiments qu'elle avait refoulé toutes ces semaines s'étaient accumulés au dessus de ce qu'elle pouvait réellement ressentir sans cette masse sur ses épaules. C'était grâce à elle qu'elle voyait ce sourire si rare chez Elijah, mais c'était aussi à cause d'elle que celui-ci s'effaçait. Au fond, Perpetua savait que ce qu'elle s'apprêtait à faire, à dire, n'était pas bien. Mais c'était ce dont elle avait besoin pour avancer, et seul Elijah pouvait l'aider.

Alors qu'il avançait vers elle, la jeune fille recula d'un pas instinctivement. Sa poitrine se gonfla soudainement d'air, comme si elle allait pleurer ou crier. Mais elle se contenta de respirer aussi mal qu'un être humain pouvait. Elle paniquait. Mais ce qu'elle ressentait était plus que de la panique. Elle posa ses yeux qui trahissaient une grand appréhension dans ceux de son ami, cherchant à la fois confrontation et aide.

-Tu... Elle s’étonna elle-même, marqua une pause. Venait-elle vraiment de s'adresser directement à son meilleur ami depuis des semaines ? Tu sais très bien de qui je parle. Elle marqua une autre pause, hésitant à prononcer son prénom. Allait-elle trop loin ? Elijah.

Ce n'était pas sa faute. Perpetua ne pouvait pas lui en vouloir, qu'avait-il fait de mal, après tout. Elle croisa ses bras. Pas d'un air hautain. Elle croisait ses bras, serrait l’étreinte comme si un courant d'air froid venait de la traverser. Elle n'avait rien de la Gryffondor de l'année précédente. Celle-ci était loin, en dessous de toutes ces pensées négatives.

-Tu sais très bien de qui je parle, Elijah. Cette fois-ci, elle prononça tout d'un coup. C'était son Lac, celui de mon... Elle allait trop loin.

Le mot "frère". Perpetua l'avait évité tout l'été, l'avait ignoré, effacé de son vocabulaire. Elle chercha pendant un quart de seconde de l'aide dans le regard de son ami, mais se ravisa rapidement et fit mine de fixer le Lac qui paraissait de plus en plus monstrueux à mesure qu'elle restait près de celui-ci. L'envie de partir d'ici se faisait pressante.

-Pourquoi son lac ?! Elle ne se contentait plus de le questionner. Elle l'accusait, lui criait dessus. Elle lui en voulait de ne pas savoir que c'était le lac de son frère. Celui qu'elle avait perdu. La cause de ses problèmes. La cause même de son comportement si étrange, de sa bataille avec elle-même. Elle lui lança un regard noir, pas de ceux qu'elle lui lançait lorsqu'elle lui reprochait de ne pas venir la voir. De ceux dont elle n'avait jamais usé envers Elijah.

Perpetua reprit une bouffée d'air et serra les dents. Parler de son frère, même sans le citer, était quelque chose qu'elle n'avait pas encore essayé depuis des semaines. Être passé à travers la barrière magique sans lui avait été une étape assez blessante pour qu'elle ne puisse même plus parler de lui à ses amis, à ses professeurs. Elle fixa Elijah, ne voulant ni regarder le Lac, ni l'arbre sur lequel s'adossait son frère, ni l'herbe sur laquelle il s'asseyait, ni même ses jambes à elle, sur lesquelles il était tombé, mort. Mais la rage l'aveuglait.

Cette rage contre la vie, contre la mort, contre l'Organisation secrète, contre le monde sorcier, contre son frère, contre Elijah, contre elle-même. Perpetua se baissa, arracha une touffe d'herbe et la lança sur son meilleur ami. La plus part des brindilles volèrent en éclats et n'eurent même pas le temps de se poser sur l'uniforme de son ami, seuls les racines et quelques brins d'herbe rencontrèrent le tissus noir.

-Pourquoi ?!

Elle avait commencé à crier, mais la douleur était telle que la fin du mot ressemblait plus à un murmure qu'à un cris de rage. Elle se baissa de nouveau et arracha encore de l'herbe qu'elle lança une nouvelle fois sur Elijah. Puis elle se redressa, haletante, des mèches de cheveux pleins les yeux, le regard noir, plein de désespoir. Pas une once de sourire sur ses lèvres, comme si elles n'avaient jamais connus ce rictus auparavant. Elle le questionnait lui, sur son choix, sur sa lettre. Mais elle questionnait aussi la mort, le destin, sur leur choix, sur son frère.

Puis son regard se plongea dans celui de son meilleur ami. Sa machoire se crispa, comme son corps tout-entier. Elle le regardait, lui. Lui qui ne fléchissait jamais, lui qui restait calme alors qu'elle l'incendiait, lui qui restait fort. Forte, voilà ce qu'elle n'était plus. Elle aurait voulut lui dire de se taire, de la laisser tranquille, mais elle l'avait cherché après tout, non ? Perpetua le méritait. Elle méritait ce regard agacé, ce ton froid dans sa voix, ces mots cruels à son égard.

Mais derrière ce discours accusateur, se cachait les mots qu'elle voulait entendre. Les mots dont elle avait besoin. Ceux que seul Elijah pouvait le lui dire. Son plus fidèle ami. "Même si je commence à m’apercevoir que cette envie n'était pas forcément partagée." Elle voulait protester, lui dire ce qu'elle pensait. Mais la rage était toujours présente. Le vent souffla dans ses cheveux, faisant voler quelques brins d'herbes sur la robe de sorcier d'Elijah. Son regard se posa sur ceux-ci, tandis que le garçon lui lançait des piques, verbales, toujours dans un calme olympien. Calme que Perpetua ne supportait pas, comment pouvait-il être aussi doux dans une situation comme celle-ci ? Est-ce que c'était-elle le problème ? Après tout, c'est elle qui avait crié la première. C'était même la seule.

Et si c'était lui le problème ? Comment osait-il parlait de son lac ? Non, plus précisément, pourquoi le faisait-il ? Perpetua reposa son regard sur son meilleur ami, mais lorsque celui-ci sous entendit une autre raison à sa colère noire, elle ferma les yeux et fronça les sourcils. Sa mâchoire fût prise de spasmes. Comme ceux qui apparaissent lorsqu'on pleure.

"Ton frère."

C'est alors qu'elle se réveilla. La main familière serra une dernière fois son coeur qui bientôt se mit à saigner. Elle ouvrit les yeux, releva la tête vers son ami, le dévisagea et alors qu'il allait prononcer l'imprononçable, elle le coupa. Elle le coupa d'un ton grave dissimulé dans un cris douloureux.

-MORT ! Oui. Je sais.

Et c'était bien ça le problème. Le vrai. Celui qui l'empêchait de dormir le soir, celui qui la tenait éveillée toute la nuit, celui qui venait se glisser sous ses lourdes paupières. Celui qui lui donnait envie de vomir, envie de mourir. Celui qui serrait son coeur si fort qu'elle sentait constamment un poids autour de celui-ci. Perpetua savait. Elle savait qu'il était mort, elle savait qu'elle souffrait, elle savait qu'elle n'était plus la même. Elle savait qu'il était mort, qu'elle était seule. Et qu'elle s'apprêtait à perdre son ami.

-Je sais. murmura-t-elle, dans un souffle presque inaudible qui pourtant laissait entendre toute le mal qu'était emprunt la jeune fille. Elle glissa son regard mouillé vers Elijah. Oui, je le sais ! Et tu sais ce que je sais aussi ? Que je souffre, que j'ai mal, qu'il est mort, que je suis seule, qu'il ne reste rien, que c'est finit ! lui lança-t-elle très distinctement, sans bredouiller comme auparavant. C'était son coeur qui parlait. Pam ! Sans retour, voilà. Oui. Je sais tout ça !

Elle essuya l'unique larme qui coulait sur sa joue. Le vent soufflait de plus en plus fort, par moment il claquait les joues de la sorcière qui ne quittait pas des yeux ceux du serpentard. Son regard était plus doux, plus sincère mais plus ravagé. Puis Perpetua écarta les bras, pour accompagner ses paroles.

-Et tu sais ce qui est le plus drôle dans tout ça ? rien n'était drôle, mais elle continuait. C'est que tu sais déjà tout ça ! Mais t'es même pas capable d'ouvrir les yeux.

Mais elle n'ouvrait pas les siens, elle ne les ouvrait plus. Elle ne voyait pas ses regards, ses intentions. Perpetua restait concentrée sur son malheur à elle.

-Pourquoi ?! Pourquoi toi, tu ne souffres pas... Hein ? Pourquoi... Elle passa sa main derrière sa nuque, refoula quelques spasmes et soupira bruyamment. Tu sais quoi... Elle hésita, mais se lança dans la gueule du loup. Tu ne devrais même pas avoir le droit de parler de mon f-

Elle leva les yeux en l'air, cherchant de l'aide haut dans le ciel et soudainement, elle fixa Elijah ... de mon frère. Les commissures de ses lèvres tendaient vers le bas, ce qu'elle s'apprêtait à dire était impardonnable et elle souffrait de devoir le lui dire. Parce qu'on sait tous les deux quel rôle a eu ton frère dans cette guerre.

Ses derniers mots flottaient encore dans l'atmosphère.Cette pensée l'avait hanté tout l'été, l'avait-elle hanté lui aussi ? Le vent traçait comme un mur entre elle et lui. Elle se battait contre elle-même. Venait-elle vraiment d’omettre la possibilité que son frère avait été tué par celui d'Elijah. Elle se cacha le visage dans ses mains et étouffa quelques sanglots bruyants.

Elle le regarda passer d'émotion en émotion. Il avait beau se vouloir impassible, elle le connaissait trop bien pour ne pas déchiffrer chaque petite réaction sur son visage, dans ses gestes, dans ses yeux.

Elle le regarda souffrir et elle souffrait elle-même. Elle souffrait de ne pas savoir comment réagir, de ne pas savoir ce qu'il se passait maintenant, dans la tête de son ami. De ne pas savoir ce qu'il se passait alors que son regard devenait triste, froid, distant. Et maintenant il serrait les dents. Elle le voyait aux traits de sa mâchoire qui devenait plus imposants, plus effrayant. Puis ils disparurent, en un quart de seconde. Elle le connaissait bien. Assez pour savoir qu'il se contenait toujours.

Mais ce qu'elle lut sur son visage ce jour-là. Ce qu'elle vit dans son regard, elle le regrettera toujours. S'il avait été un autre élève, il aurait paniqué. Mais c'était Elijah, il se contentait de se contenir, pour faire bonne figure. Et cette fois-ci, elle aurait voulut qu'il éclate, qu'il abandonne cette carapace. Juste une fois. Au lieu de cela, elle eut droit au même regard que les autres élèves, ceux qui étaient insignifiant pour le garçon. A celui qu'elle voyait de loin, lorsqu'elle n'était pas à ses côtés. Glacial, vide mais menaçant.

Ce fut à son tour, de souffrir. Mais d'une toute autre manière, moins discrète, plus banale, plus visible. Elle oublia un moment son frère. Parce qu'elle savait qu'elle l'avait perdu. Elle le savait. Cette fois, Perpetua se concentra sur elle, et surtout sur lui, sur Elijah. Parce qu'elle ne savait pas qu'elle l'avait perdu, mais elle commençait à comprendre.

Tais-toi.

Alors qu'il s'avançait, plus menaçant que jamais. Elle plongea son regard dans le sien, cherchant une lueur du garçon qu'elle avait connu, qu'elle avait vu grandir avec elle. Elle ferma alors les yeux et baissa la tête. Elle ne l'avait pas vu.

Perpetua arrêta de pleurer, mais ne chercha pas à sécher ses larmes. Elle se contenta d'écouter cette facette d'Elijah, celle qu'elle n'avait pas connut. Chaque mot qu'il prononçait, chaque syllabe qui résonnait entre les deux élèves de Poudlard, lui arrachait le cœur. Comme si la main qui avait commencé à disparaître était revenue, et arrachait chaque veine qui entourait celui-ci.

Jamais

Brusquement, elle leva la tête. Mais le visage qu'elle aperçut n'avait rien de celui qu'elle aimait. Jamais. Ce mot résonnait désormais dans la tête de Perpetua. Jamais. Jamais. Alors c'était ça ? C'était finit ? Elle déglutit, voulut protester mais ne put prononcer un mot. Elijah était tout pour elle. Et bien qu'elle l'avait détesté, pour n'être fait que de pierre. Il était tout ce qu'elle avait. Bien sûr, il y avait les autres, son groupe d'amis. Mais personne ne pouvait égaler le Lannister, pas même ses parents qui n'avaient pas réussi à comprendre la jeune fille lorsque celle-ci préférait se murer dans un silence pesant. Jamais.

Perpetua le regarda, cherchant un rictus sur son visage, mais il était sérieux. Plus sérieux qu'il ne l'avait jamais été avec elle. Elle avança d'un pas, ignorant la menace. Puis d'un deuxième pas et s'arrêta à un mètre du garçon. Qu'allait-il faire ? Non. Qu'allait-elle faire ?

Impuissante, elle le regarda, serra les dents et le poussa aussi violemment qu'elle le put en arrière.

-Alors c'est ça ? Dit-elle d'un ton assez calme pour qu'il la prenne enfin au sérieux, mais la peur se lisait toujours sur ses lèvres tremblantes. Alors c'est comme ça ? Elle avança d'un autre pas. Mais pour qui tu te prends ? Tu crois vraiment que je vais rester planter là et te laisser partir ?

Elle savait qu'il comprendrait son sous entendu, qu'il comprendrait que par laisser partir, elle voulait dire le perdre. Pour toujours. Comme son frère.

-Pour qui est-ce que tu te prends Elijah Perse Lannister ? Elle n'avait jamais employé son nom en entier et s’étonna elle-même de le connaitre. Arrête de faire l'imbécile et ouvre un peu les yeux !

Ils avaient raison tous les deux. Ils avaient raison de s'en vouloir, mais l'avaient-ils de se blesser ? Elle le poussa une nouvelle fois, une fois de trop.