Elle releva doucement son visage crispé jusqu’à la porte qui menait aux toilettes de Mimi Geignarde. Ses sourcils se fronçaient dans une courbe gracieuse tandis que ses orbes curieux étaient intrigués par l’eau dont la senteur putride parvenait jusqu’à ses narines. Le liquide reposait à ses pieds dans une flaque qui ressemblait plus à un début d’océan qu’à un accident de passage. En se penchant en avant, elle eut le malheur de croiser le regard de son reflet et de déceler les bleus qu’elle tenait tant à cacher. Elle était retournée à Londres le week-end dernier, et son père avait marqué son corps encore une fois. Le maquillage dissimulait à peine les méfaits qu’elle avait endurés, mais personne n’avait osé lui en parler. Tout le monde savait ce qu’elle réservait aux indiscrets. Elle esquissa un sourire en repensant au coup de poing qu’elle avait mis à cette abrutie de Poufsouffle puis elle lança un coup de pied dans l’eau visqueuse pour dissiper les effets d’un miroir indésirable. Elle laissa échapper un juron maladif de ses lèvres pourpres : ses bottines étaient trempées. Ses iris perçants ne lâchaient plus la porte des toilettes. Si ça avait été une journée comme les autres, Styx aurait passé son chemin et continué sa descente irrésistible jusqu’aux cachots glacés. Mais si ça avait été une journée comme les autres, elle ne serait jamais passée par là. La nuit tombait sur le château désert. Personne n’osait déroger au couvre-feu installé par le directeur de l’école à part les quelques courageux qui n’avaient rien à faire des règles dépourvues d’autorité. Du moins, c’était l’excuse qu’elle se donnait. La vérité, c’était qu’elle sortait d’une heure de colle particulièrement fatigante et qu’elle voulait simplement rentrer dans sa chambre, s’allonger, et ne plus bouger. Les escaliers aussi avaient décidé de rester immobiles. Ils n’avançaient pas assez vite et elle n’était pas assez téméraire pour s’élancer dans le vide. Elle leva les yeux au ciel. Elle traversa la flaque en fouillant machinalement dans son sac, à la recherche du flacon rouge que sa mère lui avait confié, une potion supposée calmer ses douleurs. A défaut d’être une véritable mère, Isabelle s’était octroyé le rôle de l’infirmière dans la tragédie qu’ils incarnaient avec plus d’honnêteté qu’on aurait pu le croire. Ainsi pouvait-elle fermer les yeux sur les coups que son mari portait à sa fille tout en la soignant. Styx appréciait l’ingéniosité du stratagème, mais elle n’était pas dupe : sa mère avait peur, et si sa peur lui coûtait sa fille, alors c’était tant pis. La serpentard dut s’y prendre à plusieurs reprises pour ouvrir la porte tant les toilettes étaient inondées, et elle espérait vraiment ne pas tomber sur Mimi Geignarde en y entrant, elle n’était pas d’humeur à supporter ses jérémiades. A vrai dire, elle ne savait pas sur quoi elle tomberait, elle voulait juste prendre son médicament avant de rejoindre les siens. La porte finit par céder à ses tentatives désincarnées. Lorsqu’elle pénétra dans la pièce, elle fut d’abord dégoutée par l’odeur nauséabonde qui y régnait. C’était comme si on avait laissé pourrir un cadavre pendant des mois sans jamais aérer l’espace. Styx se surprit à sourire à l’idée de trouver un mort ici. Mais elle ravala cet excès de joie dès qu’elle entendit l’ombre d’une voix. A son grand désespoir, elle n’était pas seule, alors elle avala une goutte de sa potion qu’elle dilua dans l’eau glacée qui coulait du robinet. Mais lorsqu’elle releva la tête, elle l’aperçut dans le miroir : une Gryffondor dont le nom lui avait toujours échappé. Elle devait être celle qui avait causé l’inondation. Les Gryffondors avaient beau être réputés pour leur courage, on ne pouvait pas dire qu'ils étaient de véritables lumières. Elle poussa un soupir agacé et se retourna doucement. Ses saphirs parcouraient les toilettes dévastées d’un air à la fois dégoûté et faussement indifférent. Elle plaça sa main au-dessus d’un robinet et fit mine de le fermer. « Tu vois, tu fais tourner ta main autour de la manivelle et l’eau finit par arrêter de couler. Je sais que la plomberie n’est pas au programme, mais il serait nécessaire d’apprendre les bases avant que le château ne soit complètement inondé. »Elle plongea son regard glacé dans celui de la rouge. Elle n’attendait aucune réponse et il ne lui importait guère qu’elle soit à l’origine du désastre ou non. Elle referma son sac et jeta un coup d’œil à son reflet aqueux. Le maquillage ne cachait rien, mais dans quelques jours, ils auraient disparu. « Eh bien, puisque rien de tout cela ne me concerne, je m’en vais. »