Le quatrième étage. Un des lieux les plus calmes du château. Surtout en ces temps sombres. Depuis que l'Organisation avait pris le contrôle, Poudlard était silencieux, il semblait perdre de sa magie. C'était comme si tout le monde se sentait coupable, dès qu'un faible rire s'élevait au milieu de ce cimetière. L'ambiance était si lourde, si pesante. Même Aaron peinait à garder son sourire. Des cernes, un teint pâle comme un cadavre, un regard triste, absent. Voilà ce qu'elle était devenue, une ombre. Comme tous les élèves. Ou presque. Par moment, lorsque le soleil se levait, et qu'il régnait un souffle estival, on se risquait à sortir, à sourire, à profiter. Parce qu'on ne pouvait faire que cela. Profiter, avant qu'il ne soit trop tard. Car chaque jour, on craint que ce soit le dernier. Chaque jour, on a peur, on pleure, on se demande de quoi sera fait le lendemain. Qui sera la prochaine victime.

Il faisait sombre par ici. Seule une faible lueur s'échappait d'une minuscule fenêtre. Il faisait froid. Et le calme qui régnait en ce lieu était plus angoissant qu'apaisant. C'est pourquoi la jeune Aaron souhaitait se rendre à la bibliothèque. Non pas pour lire, non pas pour travailler. Mais pour se reposer. Se retrouver un peu seule, et réfléchir. La bibliothèque était agréable, malgré la vieille Pince. Et lorsqu'elle y pénétrait, elle se revoyait au temps de sa première année. Le temps de la magie, le temps des rencontres, de l'émerveillement. L'odeur des vieux bouquins, les petits rires des amoureux, cachés entre deux étagères, le souffle paisible de la respiration des jeunes travailleurs..

– Hééé, mais c'est la p'tite Johansen ! Qu'est-ce que tu fais là, toute seule ? Tu t'es encore perdue ?
– Fous moi la paix, Evans.

Alaric. Ce petit prétentieux de serpentard. Qu'est-ce qu'il voulait encore ? Depuis quelques mois, il ne cessait de la rendre dingue, avec ses remarques désagréables. En temps normal, elle aurait simplement ignoré cet imbécile. En temps normal, elle aurait continué son chemin, sans même lui adresser un regard. En temps normal, elle serait restée calme. Parce qu'il n'en valait pas la peine. Ce n'était qu'un petit plaisantin, pas bien méchant.

Mais en ce moment, Aaron ne le supportait plus. Elle avait la tête pleine, le cœur en peine, comme tant d'élèves dans ce château.. elle n'avait pas besoin de lui, en plus. Ses nerfs étaient à vif, ses émotions étaient si fortes que la barrière qui les retenait pouvait se briser à tout moment.

– Bah alors, tu dis plus rien ? Faut que t'arrêtes de m'ignorer, allez, regarde moi quoi ! T'as peur ?

Ne pas répondre. C'était inutile.

– T'es qu'une pauvre trouillarde ! Regarde toi, t'as l'air toute petite, toute fragile.. fais moi face au moins !
– Ferme là.
– Ferme là ? C'est tout ? Et t'es chez les gryffondor ! Ma pauvre, t'aurais du finir chez les blaireaux ! Retourne donc chez papa et maman, si t'as si peur !

La phrase de trop. Il n'aurait pas du dire ça. Jamais. Mais il ne fallait pas..

– Va te faire voir, Evans ! Je suis certainement plus courageuse que toi ! T'as rien d'autre à faire ? Tu devrais ouvrir les yeux ! T'as tellement peur que tu te réconfortes en rabaissant les autres ! Un vrai serpentard ! Dégage, dégage..

.. répondre. Il n'attendait certainement que ça, qu'elle s'emporte. Elle n'aurait jamais du. Mais c'était trop tard. Elle ne pouvait plus se contenir. Sa colère la faisait trembler, elle voulait le frapper, mais ce n'était pas avec ses petits poings qu'elle arriverait à le mettre K.O. Et puis, quel intérêt..

Evans se mit à rire. Un rire rauque. Il se foutait d'elle. Quel abruti..

– DEGAGE !

La tension était palpable. Ainsi que la colère. Aaron bouillonnait de l'intérieur. Par moment, elle se détestait d'être ainsi. Trop émotive, trop sensible. Elle sentait presque les larmes monter. Des larmes de colère, presque transformée en rage. Si un élève n'était pas venu interrompre cette altercation, elle aurait sans doutes offert un tableau pitoyable. Elle ne comprit pas, au début.. que faisait-il ? Tous les autres élèves assis dans la bibliothèque avaient fait comme si de rien n'était, ne se souciant que de leurs livres. Il s'approcha doucement, jusqu'à se trouver presque entre eux deux. La jeune fille le regardait, surprise et soulagée.

« De quoi je me mêle ? »
« De rien. Tu la laisse tranquille sans faire d’histoire et y’aura pas de souci. »
« Tu défends une débile pareille ? Tu ne la connais même pas ! En quoi tu crois qu’elle mérite d’être secourue par un abruti comme toi ? »

Les dernières paroles ne firent qu'accentuer son envie de lui foutre la tête dans le mur, mais son regard restait posé sur ce qu'elle aurait pu appeler un " chevalier servant ". Alaric faisait moins le malin. La jeune fille esquissa un sourire, en voyant qu'il devenait plus pâle, et tremblant. Mais ce sourire disparut bien vite, quand elle vit qu'il continuait à la provoquer. Sa colère ne fit qu'un tour, et elle s'apprêta à le frapper. Lorsqu'elle se retrouvait face à un tel sentiment, elle avait l'impression d'avoir une force surhumaine, l'impression que rien ni personne ne pouvait la stopper. Autour d'elle, plus rien ne semblait vivre, le temps s'était presque arrêté.

Mais elle se sentit comme arrachée à sa transe. Le garçon lui avait attrapé les bras et la maintenait immobile. Pourquoi ? Le regard empli de colère, les mains tremblantes, la respiration saccadée, elle essayait de se détacher de cette force qui la retenait. Mais elle se calma lorsque le garçon murmura :

« Ne lui donne pas ce qu’il espère. C’est un con qui a besoin de se mettre en valeur en martyrisant les autres. Il se ferait une joie de signaler que tu l’as frappé. »

Elle respira et offrit son regard le plus noir à l'imbécile en face d'eux. Il semblait apeuré par ce grand garçon imposant, qui était sans doutes plus âgé. Il lâcha un juron et prit la fuite, pour enfin sortir de la bibliothèque. Aaron tremblait toujours. Son regard était perdu, absent. Elle se sentait minable.. mais après tout, elle ne pouvait l'être autant que ce serpentard de pacotille.

L'inconnu la lâcha, et elle se retourna doucement vers lui. Ce qu'il était grand ! Elle fut soudainement prise d'un fou rire incontrôlable. Avec elle, on ne pouvait jamais savoir à quoi s'attendre. Ses émotions vacillaient, changeaient très vites. Surtout en ce moment.. elle perdait la boule, à cause de tout ce qui se passait. En posant son regard sur le garçon, ses joues rosirent légèrement. Il était très imposant, et elle se sentait mal à l'aise de s'être emportée ainsi.

« Je suis désolée.. merci »

Un léger sourire passa sur son visage fatigué. La journée serait peut-être moins maussade. La pluie tombait maintenant. Si fortement qu'on ne voyait plus rien par la fenêtre, à part un épais filet d'eau. Le bruit de la pluie était apaisant.. la jeune fille se sentit parfaitement calme, c'était étrange.

« Je suis Aaron »

« Meryc. Et pas de quoi pour tout ça, se prendre la tête pour un con pareil, ça n’en vaut pas la peine. »

Oui, elle le savait. Et elle s'en voulait.. avoir ainsi réagi. Mais c'était plus fort qu'elle. Elle ne contrôlait plus rien.. plus rien du tout. La jeune fille aurait peut-être du partir, à cet instant même. Sortir de la bibliothèque sans se retourner, rejoindre la salle commune des gryffondor et s'allonger devant le feu. Mais Aaron restait là, debout devant Meryc, sans pouvoir bouger, ou même le regarder. Avait-elle honte ? Non.. était-ce de la peur ? Peut-être.

« C'est vrai.. d'habitude ça me passe au dessus, je ne sais pas pourquoi j'ai réagi de cette façon. Je devrais peut-être y aller.. » dit-elle alors, prête à rebrousser chemin. Mais elle ne bougea toujours pas. Comme si de la glue la retenait au sol. Elle ne voulait pas être seule.. pas maintenant, plus maintenant. Elle avait besoin de compagnie.. « En fait.. je peux rester ? Sauf si je te dérange.. »

De toute manière, la jeune fille était, à la base, venue dans ce lieu pour être au calme.. à quoi bon repartir ? Elle prit donc place à la table juste à côté, et sourit. Si il voulait s'assoir à ses côtés, il pouvait, et si il préférait repartir.. il le pouvait également, c'était son choix. Mais elle espérait en silence qu'il veuille lui tenir compagnie. Étrangement, elle voulait en savoir plus sur lui.. sur Meryc. En apparence, il semblait un peu froid.. un peu distant. Mais le fait de l'avoir " sauvé " prouvait le contraire. Peut-être ne voulait-il simplement pas s'attacher aux autres ? Elle le sentait.. la vie n'avait pas été facile avec lui. Et en ce sens, ils pourraient bien s'entendre.

La pluie battait encore plus fort les carreaux, ne laissant pas le silence s'installer. Aaron tourna son regard vers la fenêtre, en soupirant doucement. Elle ne pensait plus à rien, maintenant. Elle se perdait dans la contemplation des gouttes de pluie, coulant contre la vitre. Lorsqu'elle revint à la réalité, le garçon était toujours là. Allez, reste..

« Tu es à poufsouffle ? » demanda-t-elle alors, voyant pour la première fois la couleur de son blason. La plupart des personnes de cette maison étaient adorables. Meryc semblait différent.. elle l'aurait plutôt vu à serdaigle, ou même à gryffondor, si elle n'était pas dans cette maison. Mais encore une fois, ce n'était qu'apparence. « J'aime beaucoup cette maison.. j'aurais pu y avoir ma place. »

« Poufsouffle, oui. Je ne comprends pas énormément pourquoi, d’ailleurs, mais j’y suis bien. »

La gryffondor répondit par un sourire.

« J’étais venu pour réviser… Tu veux te joindre à moi ? … Ou faire autre chose ? Avec moi ou non… »

C'était étrange.

Il semblait hésitant. Ce qui fit sourire la jeune fille, sans qu'elle comprenne réellement pourquoi. En fait, elle l'aimait bien. Elle ne le connaissait pas, mais son intuition lui disait qu'elle ne devait pas simplement le remercier pour ce qu'il avait fait, et partir, sans se retourner. De plus, en ce moment, il était plus qu'important de nouer des liens, de se faire des amis, afin de ne pas se sentir seul. Afin de ne pas perdre la raison. Afin de ne pas sombrer du mauvais côté. Aaron ne voulait pas ressentir une profonde solitude, celle qui vous ronge, qui vous dévore et vous rend fou. Elle voulait se sentir rassurée. C'était tellement important..
En fait, avoir l'impression d'être proche de la mort vous fait réfléchir. On se dit que chaque jour, elle peut nous emporter, sans qu'on ait eu le temps de dire adieu, sans qu'on ait eu le temps de s'y préparer. On se dit qu'on peut, à tout instant, laisser des personnes incroyables derrière nous, et les rendre malheureux. Il fallait montrer aux gens qu'on aime, qu'on les aime. Avant qu'il ne soit trop tard.

« La pluie s'est arrêtée.. on peut aller faire un tour ? »

Elle sourit de nouveau. Elle savait qu'au fond, il n'avait pas vraiment la tête à réviser. Et elle non plus. Un peu d'air frais ne leur ferait pas de mal.

Un léger silence s'installa. Mais étrangement, Aaron n'en ressentait aucune gêne. En réalité, c'était plutôt un silence agréable, ponctué par les dernières gouttes de pluie qui coulaient contre la fenêtre. « Si tu veux, on pourra revenir ici après ! T'en dis quoi ? » Après tout, il n'était pas bien tard. Et la jeune fille ressentait un besoin assez fort de sortir, de respirer un peu, d'être en dehors du château et de marcher. Alors, sans attendre, elle se releva et offrit un sourire plein de malice à Meryc. « Dis ouiii » Impossible de résister à ça !

Elle avait retrouvé sa bonne humeur. Lunatique ? A peine. Ces derniers temps, elle avait besoin de rire, tout le monde en avait besoin. Et rester enfermé n'était pas la meilleure façon de retrouver un semblant de joie.. alors que patauger dans les flaques d'eau après la pluie, c'était chouette. Aaron était encore une véritable gamine, parfois. La vie n'avait jamais été très agréable pour elle, et elle tentait de conserver son âme d'enfant, pour continuer à espérer. C'était le seul moyen pour elle de ne pas sombrer. Et cet espoir risquait de disparaitre.. il ne tenait plus qu'à un fil. Tout semblait sur le point de disparaitre. Pourtant, il fallait bien continuer à vivre.

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