[...] Mon Capitaine ne répond pas, pâles et immobiles sont ses lèvres,
Mon père ne sent pas mon bras, il n'a ni pulsation ni vouloir,
Le bateau sain et sauf est à l'ancre, sa traversée conclue et finie,
De l'effrayant voyage le bateau rentre vainqueur, but gagné ; [...]
Walt Withman ( 1865 )

Accoudée au bastingage, j’observe l’horizon. Il ne sera pas dit que je compte perdre un peu de cette assurance qui me caractérise. Je cherche en mon cœur mes différences. Je n’en trouve aucune. Ni meilleure qu’hier, ni pire que demain, au fond, c’est mon entourage qui changea du jour au lendemain, pas moi. Je suis à Poudlard et demain aura lieu la première tâche du Tournoi. Le comportement de mes frères est différent, ils me sourient davantage, blaguant sur tout et n’importe quoi, au fond, ils s’inquiètent j’en suis certaine. Pour ne pas laisser leurs angoisses m’atteindre, je les évite beaucoup depuis que la Coupe a tiré mon nom. De plus, j’ai de l’orgueil, je ne veux de l’aide de personne. Inconsciente, limite suicidaire mais c’est comme ça, on ne se refait pas. J’ai choisi l’isolement à toute autre option. Les élèves de mon école ont l’air de comprendre mes envies de solitude… Certains pensent sans doute que je suis morte de peur, d’autres doivent se dire que je suis bien trop calme pour vraiment réaliser l’essentiel… Demain, à la même heure, je serai peut-être morte. Je ris tout bas, me moquant de moi-même… Bordel, si je dois mourir, je jure bien de revenir hanter tout Durmstrang en agitant mes chaines comme une forcenée ! Non, je ne serai pas un gentil fantôme, je leur en ferai baver, c’est décidé.

Réfléchir à cela me fait du bien, je souris toujours à la nuit en écoutant mes condisciples se diriger vers le ponton puis vers le château. Poudlard. Avec tout ça, je n’ai eu que très peu d’occasions de le visiter. Qu’importe, comme déjà dit, je ne suis pas ici en touriste. Les rires de mes camarades se tassent, je ne les entends plus. Ah oui, il est l’heure du dîner, voilà pourquoi ils quittèrent le vaisseau pour rejoindre la terre ferme. Le pont est silencieux, je suis seule… Enfin, pas pour bien longtemps, sur terre ou en mer, il n’y a jamais moyen de réfléchir correctement. Je soupire d’ailleurs bruyamment lorsque je me fais apostropher par quelqu’un dans mon dos,

« Alors Verstraete, la forme ? J’ai parié 10 mornilles sur ta défaite, essayes de pas me faire perdre de l’argent… »
« Si je l’emporte, tu m’en devras vingt le troll ! »

Que je lui rétorque en me retournant. Un sourire carnassier aux lèvres, je crois qu’ils ne se doutent même pas que ce sont eux qui me donnent de la force. Je m’approche, tendant ma main, enfonçant le clou,

« Donnez-les moi donc maintenant, nous gagnerons du temps ! »

Les deux Mokop se marrent, se détournant pour sauter sur le ponton. Ils rient toujours en rejoignant le parc puis le château. Moi, je m’en moque bien, je ne suis pas assez naïve pour penser comme certains que ce Tournoi fera taire toutes les rancunes. Pour moi, Mokop, Radgentis, Pouloudnista… Je me fous bien de ces histoires de niveau. Ce stupide test passé il y a trois ans ne peut mesurer la valeur que j’ai dans le corps et dans le cœur. Tout n’est qu’un jeu, diviser pour mieux haïr, moi, ma haine, je la réserve à des choses plus importantes.

Je n’ai pas faim, je suis comme nouée de l’intérieur. Seule une idiote n’aurait pas peur, et moi, je ne suis pas stupide. De la poche de mon uniforme, j’extrais un papier. Sur celui-ci, apparait l’indice de la première tâche. Oui, j’ai eu du temps pour y réfléchir, j’ai feuilleté quelques livres, j’ai donc une vague idée de ce qui m’attend… Mais tout de même,

« Cela ne peut pas être aussi simple… »

Que je chuchote à la nuit. Bon d’accord, je l’avoue, ça y est, l’angoisse me ronge de l’intérieur, je pourrai en hurler. Mais non, je préfère nettement incendier le bout de parchemin et le regarder tomber dans les eaux du lac noir. Advienne que pourra. Et puis, une idée folle, quelque chose qui me fait rire soudain. Je lève la main et théâtrale, je prends les cieux à témoin,

« Lune, chiche ou pas de larguer les amarres et de prendre la mer en bons pirates que nous sommes. »

Oui, je suis en train de perdre le peu de raison qu’il me reste. Mais qu’importe, cette nuit, j’aimerai l’appréhender les yeux grands ouverts. Oublier la pression, oublier leurs moqueries pour me retrouver moi-même. Allez Lune, réponds-moi donc, détournons donc ce navire et partons à l’aventure. La réalité me rattrapera bien assez tôt.