Il n'était pas habituel de voir déambuler Jey au milieu des serres. Déjà car il était prof de défense, et ensuite car il n'avait jamais été trop attiré par la botanique. Mais, avec les récents événements, il avait le sentiment qu'un peu de verdure l'aiderait a avoir une réflexion un peu plus calme. Il l'avait appris dans sa formation d'auror, élaborer des plans dans le feu de l'action était risqué. Il fallait penser a une stratégie avant, et une fois sur place, avoir l'esprit libre pour régler les problèmes qui se présentaient. De fait, Jey prenait souvent le temps de réfléchir avant de faire quelque chose. Et surtout, il ne prenait aucun risque sans avoir pesé le pour et le contre.

Les serres étaient silencieuses. Il s'était en effet assuré qu'aucun cours ne s'y tenait avant d'y aller. Pas qu'il n'aimait pas la compagnie, bien au contraire, mais il voulait penser un peu par lui même. Il se penchait de temps en temps pour admirer une plante, espérant a chaque fois qu'elle ne soit pas toxique ... avouez que ça ne serait pas très malin. Il se laissait inspirer par le silence et la belle verdure autour de lui. Bizarrement, ça produisait son effet. Sa peur perdait un peu d'intensité. Oui, ça irait très bien. Ils pouvaient s'en sortir, comme a chaque fois que le monde magique avait été en difficulté. Ca serait dur, bien entendu, mais il ne fallait pas sous estimer la volonté des sorciers.

Il eut un mouvement vif quand il entendit des pas derrière son dos. Il se retourna, sur ses gardes, et faillit rire instantanément. Mademoiselle Aubépine de Severac, qui comptait parmi ses élèves préférés, se tenait debout face a lui. Elle devait se demander ce qu'il faisait ici, et il lui sourit en réponse.

- Bonjour. Comment allez vous par cette ... belle matinée.

Il jeta un œil au temps, peu convaincu que la journée soit belle ... mais qu'importe.

- Bien sur que ça ne va pas Mademoiselle de Severac. J'ai été auror, je sais très bien quand on masque la vérité ...

Sa voix était calme, très posée, presque douce, mais tout de même ferme. Il avait croisé les bras et s'était adossé a l'une des tables. Il ne voulait pas être menaçant, car ça ne servait a rien. Il n'avait même pas besoin de lui dire exactement ce qu'elle avait sur le cœur. Mais par contre, il n'aimait pas qu'on se croit obligé de lui mentir. Quoi ? Il allait pas la poursuivre jusqu'a ce qu'elle lui avoue ce qui la tourmentait. Ca ne servait pas beaucoup de faire comme si de rien était. Comme s'il n'avait pas remarqué son piteux état et ses traits marqués ... comme si tout le monde n'était pas anxieux. Il soupira doucement, imperceptiblement, et continua.

- Je n'attends pas que vous m'expliquiez pourquoi ça ne va pas, mais ne me racontez pas n'importe quoi. Ce n’est pas utile, je ne suis pas un ennemi.

Le sourire revint sur ses lèvres.

- C'est normal d'avoir peur, d'être pas bien. Ce n'est pas infamant. Ce qui est mal, c'est de se laisser couler au fond du puits.

Quel poète ... ou pas. Il resta pensif, puis se redressa et tira une chaise de derrière la table pour l'avancer jusque Aubépine. Peut être qu'elle se draperait dans sa fierté et refuserait cette chaise qu'il lui proposait, mais au moins l'aurait il proposé ... et ça voudrait dire aussi qu'elle n'avait pas compris le sens de ses mots précédents ... ce qui serait dommage pour une serdaigle.

- Ne vous épuisez pas inutilement.

Il tenta un autre sourire, et retourna s’adosser a sa table. Lui même avait peur très souvent, mais il n’avait jamais laissé cette peur décider de sa vie. Il l’avait combattue, et était devenu un auror respecté, puis un professeur de défense consciencieux et de bon conseil.

- Bien ... c'est bien si vous ne vous laissez pas abattre.

Il pencha légèrement la tête sur le côté. Il n'était pour autant pas persuadé qu'elle ait pris la bonne voie pour se sortir du mal. Quoi ? On allait rester tous dans son coin ? Elle pensait vraiment que c'était en se séparant volontairement de ses amis que l'on remportait une victoire ? Les héros des films moldus, seuls, sans peurs et sans reproches, résistants a vents et marées, ça n'existe pas. On ne peut pas remporter une victoire tout seul. Ca aussi, c’était son expérience d’auror qui lui avait appris. Essayez d’aller arrêter un puissant sorcier tout seul, façon cow boy, sans renforts. Vous allez finir en steak. Il se rendit compte qu’il haussait un sourcil. Il le baissa, et prit son temps pour sélectionner ses mots.

- Mademoiselle de Severac, je ne pense pas qu’on puisse aller très loin tout seul. Les temps sont durs, et c’est justement pour ça que nous devons nous occuper les uns des autres.

Elle aurait surement a objecter sur ce point, mais il ne lui laissa pas le temps de prendre la parole. Le temps d’une respiration, et il continua.

- Je me doute que vous avez des soucis, mais vous n’êtes pas la seule. Au lieu de raisonner en termes de « je vais ennuyer les autres », essayez de vous dire que votre expérience leur profitera peut être. On ne sait jamais.

Ben il pouvait bien donner des leçons lui, le petit fils de mangemort qui tremble en espérant que personne ne découvre sa filiation ... qui a même honte qu’on puisse le relier aux Blackburn. Il flancha un peu a cette idée, et cilla.

- Je ne suis peut être pas le mieux placé pour dire ça remarquez.

Il avait ajoutés ces mots tout bas, dans un murmure a peine audible. Peut être ne l’entendrait elle pas.

Il eut un sourire désabusé en l'écoutant. Elle ne pensait pas honnêtement le berner comme ça ? Non bien sur, pas après qu'il ait rappelé son ancien métier. Elle voulait juste détourner un peu la discussion car elle n'était pas a l'aise avec ce qui lui pesait sur la conscience. Il écouta patiemment, essayant d'adopter son expression la plus ouverte et attentive. Il savait par expérience que c 'était difficile de livrer ses choses, et il était conscient que si elle lui disait, au moins en partie, c'était une marque de confiance. Il devait respecter et avoir de la gratitude pour ça, tout en restant attentif aux non dits qui hantaient aussi ces mêmes paroles. Plus que tout, ce qui désolait Jey était le ton qu'elle avait employé. Froid, détaché, comme si elle ne parlait pas d'elle. Il avait déjà entendu ce ton chez des guérisseurs légistes, qui parlaient ainsi de leurs sujets d'étude pour éviter de s'impliquer émotionnellement. Comment en vient on a parler de soi même de cette façon ? Jey savait très bien comment, mais ça lui faisait de la peine. Si jeune et si plein de désillusions.

Il sursauta presque quand elle releva ses derniers mots, et resserra ses bras sur sa poitrine. Il hocha la tête. Elle avait raison en un sens. Si elle lui avait fait assez confiance pour lui dire ce qui lui faisait du mal, c'était a son tour. Il prit son inspiration, car ce n’était pas quelque chose qu’il avait révélé souvent. A part sa famille, seules deux personnes savaient, son meilleur ami et presque frère, Cedric, et Velkan qui avait deviné mais avait gardé le secret. C’était risqué, mais il fallait bien qu’il s’explique un peu.

- Vous avez bien entendu étudiée la grande guerre contre Voldemort, et on vous a surement cités quelques mangemorts tristement célèbres. Peut être vous a t on mentionné le nom d’Antonin Dolohov.

Il s’interrompit juste pour vérifier dans son regard si c’était bien le cas. Il poursuivit.

- C’est mon grand père.

Il ferma les yeux un instant, et fit une moue de dégout.

- Quand une chose dans votre vie vous pose problème, vous pouvez décider de l’ignorer, mai ça ne vous aidera pas a avancer. Ou alors vous pouvez l’accepter et aller de l’avant. Personnellement, j’ai préféré me construire en opposition. Je suppose que ça dépend du caractère.

Il sourit pour donner une note moins sombre a son discours, et épia une réaction.

- Vous jouer sur le sens des mots Mademoiselle. La douleur peut se rappeler a nous constamment, et pourtant on préfère ne pas la regarder en face. C'est comme de prendre des potions pour pallier aux symptômes sans soigner la maladie elle même. Ca aide a tenir, mais pas a vivre correctement.

Il sentait qu'elle était tendue, et peut être qu'elle avait été vexée des mots qu'il avait employés. Mais il fallait bien qu'elle comprenne ce qu'il voulait dire. Après, elle ferait ce qu'elle voudrait de ses conseils. Il n'était pas son père, ni même vraiment un proche. Il était son professeur. Son rôle était de lui donner les meilleures armes possibles pour affronter la vie. A elle de décider du déroulement du combat. Sa voix s'était radoucie, pour lui faire comprendre qu'il n'essayait pas de la juger, juste de lui ouvrir les yeux. Il la prit par son bras valide, doucement, et la reconduisit sur sa chaise. Sans la pousser, sans la presser, tranquillement. Il avait conscience de se comporter en grand frère, ou en donneur de leçon ... ce qui revient au même a bien y réfléchir ... mais elle n'avait apparemment pas beaucoup de monde autour d'elle pour lui dire ça, a ce qu'il avait put déduire de ses paroles.

- Non, on ne fait pas toujours ce qu'on veut ... mais ce n'est pas une raison pour ne rien essayer.

Il se pencha un peu en avant pour que son visage soit a la même auteur que le sien et ses lèvres s'étirèrent en un sourire malicieux.

- J'étais très peureux enfant. J'avais peur de mon ombre. Vous voyez, je suis devenu auror quand même. Personne n'aurait parié une noise la dessus.

Il essaya un clin d'oeil. Risqué ... elle pouvait le prendre bien ou mal, et il y avait une plus grande probabilité que ça ne la fasse pas rire. Mais il ne pouvait pas rester très sérieux trop longtemps.

- Utilisez ça comme une arme. C'est dur a concevoir, je sais ... surtout a votre âge et étant donnés les événements ... mais rien n'est joué tant qu'on est vivant.

Il jeta un oeil a sa montre astronomique. Il allait bientôt devoir se rendre dans sa salle de classe pour donner un cours. Bon, tant pis, il serait un peu en retard. Il avait l'intuition que cette petite discussion était bien plus importante que quelques minutes de retard.

- Mais la vie est un combat permanent ... c'est lutter et se tromper tout le temps. Bien sur que c'est difficile. Personne ne nous a promis le pays du miel et du lait.

Quand on porte un nom de prophète et qu'on commence a faire des références bibliques, ça devient sérieux. Il fut amusé de ce parallèle involontaire et qui passerait peut être inaperçu. Il comprenait ses doutes, pour en partager un certain nombre. Mais ce qu'il voyait, c'est qu'il avait pris le même chemin qu'elle a son âge. Quand son père lui avait révélé l'identité de ses propres parents, dont le sinistre Antonin, Jey avait 17 ans. Il avait lui aussi conservé le silence, ne parlant pas a ses amis de ses inquiétudes existentielles. Deux ans plus tard, quand sa tante et son oncle étaient morts, i avait fait de son mieux pour représenter une image forte, stable et imperturbable pour ses cousins, Edward et Kendall. Il avait tut ce qui le rongeait en croyant que ça partirait tout seul. Au final, rien n'était parti, et il était encore hanté par ces fantômes du passé, des fantômes contre lesquels il ne pouvait rien faire.

- Elle a surement voulu vous protéger de quelque chose. Ce n’est pas pour vous punir, mais pour vous donner une chance de mieux vivre. C’est surement pour cette raison qu’elle vous a laissée quand vous étiez bébé, et qu’elle vous a jeté ce sort.

Il resta pensif quelques instants et, avec un mince sourire, continua sa pensée.

- Un sort d’oubliette est réversible, croyez moi. Suffisamment de mes suspects ont cru pouvoir s’en tirer en en jetant un sur les témoins pour que je sois au courant. La vraie question n’est pas « pouvez vous vous souvenir » mais « est il vraiment opportun que vous vous souveniez maintenant ».

Il se redressa, sur le départ. Il devait aller donner son cours, mais il se permit de conclure d’abord sur un point qui était en fait assez central dans cette discussion.

- Si elle vous a envoutée, il y a une bonne raison. Je crois la comprendre, même si je ne la partage pas. C’est peut être quelque chose a méditer.

Un sourire confiant, et il s’était rapproché de la porte. La main sur la poignée, il se tourna vers elle une dernière fois.

- J’ai un cours a donner maintenant, mais n’hésitez pas a venir me voir. Je comprends que vous ne vouliez pas ennuyer vos amis, mais maintenant que je suis dans la confidence, autant profiter de mes lumières, aussi faibles soient elles.

Il sortit enfin en essayant d’avoir l’air déterminé et rassurant.