Aubépine supportait difficilement la disparition progressive de la magie à Poudlard, dans toute la communauté sorcière à vrai dire. Leur nouveau directeur, dont Aubépine ne savait quoi penser car il était après tout à la solde de Pritchard qu’elle méprisait férocement, leur avait annoncé récemment qu’un artefact similaire à celui de Londres dans ses pouvoirs se trouvait à Poudlard – ou du moins en avait-elle conclu qu’il était similaire et qu’elle pourrait par la même restaurer la magie dans son école. Elle avait retrouvé celui de Londres, en compagnie de Dorian, Célestin, Arya et Rosaleen, certes, mais elle l’avait retrouvé. Elle était intimement convaincue qu’elle pourrait retrouver celui de Poudlard.

Elle dépendait trop de la magie, pour pouvoir être soignée, pour renoncer à la rétablir. Si cela ne tenait qu’à elle, elle serait même partie à la recherche des deux autres dans les autres écoles. Mais cela attendrait. Poudlard avant tout, bien que Beauxbâtons soit le réceptacle de ses origines, de son cœur, de ce dont elle avait toujours rêvé. Elle aiderait dans la mesure du possible à rétablir les choses dans les autres écoles, une fois Poudlard sauvé dans la mesure du possible.

C’est donc pourquoi, ce matin-là, elle avait attendu Emma, dans sa salle commune, pour lui proposer de s’allier à elle. Si Aubépine avait beaucoup vagabondé dans le château, pendant ses sept premières années, Emma aussi, et elle semblait connaître des secrets qui avaient échappé à Aubépine, ce qu’elle avait compris lorsqu’elles étaient parties toutes les deux durant la bataille des inferis. Elle pourrait lui être utile, et elles formaient un bon duo, après tout. Et puis, Aubépine l’aimait bien, mine de rien.

Elle lui avait donc proposé de partir à la recherche de l’artefact ensemble, quitte à aviser ensuite ce qu’elle pourrait en faire si elles finissaient par le trouver – elle n’était pas bien sûre de l’allégeance d’Emma, après tout, et de ses sentiments envers le Ministre -, et c’est ensemble qu’elles commencèrent donc à fouiller l’école sans bien savoir quel serait leur lieu de départ.

Le rouge carmin de ses lèvres jurait presque avec la pâleur de son visage dont les contours, accentués par la fatigue, disparaissaient parfois sous ses longs cheveux bruns. Ses yeux se perdaient dans le paysage qu’elle refusait de regarder. Le moindre détail sur lequel ses prunelles se fixaient lui rappelait la nuit qu’elle voulait tant oublier. Tout avait disparu, et pourtant tout demeurait. La neige, en suspension dans les airs, menaçait de tomber à chaque instant. Elle ne le faisait jamais. Les inferi, immobilisés par la pierre et la rouille, pouvaient, à chaque seconde, dans un hurlement strident et immonde, se réveiller et damner Poudlard une nouvelle fois. Ils ne le firent jamais. Parce qu’à Poudlard, le temps s’était arrêté, et les sorciers attendaient quelque chose qui ne viendrait jamais : la rédemption. Emma s’était peu à peu habituée à la vue de ce paradis perdu. Elle s’était habituée à vivre dans un monde figé, glacé par la mort qui ne laissait plus rien sur son passage. A l’odeur, en revanche, elle n’avait toujours pas réussi à se faire. Ca sentait la rouille, ca sentait le sang, ça sentait les cris qui s’étaient envolés dans la nuit, ça sentait l’horreur de la mort qu’ils avaient tant fui qu’elle les avait retrouvée, ça sentait la peur.

« Votre nom s’il vous plaît. »

Elle dévisagea l’auror. Depuis la disparition de Dashwood, une nouvelle délégation d’auror était venu compléter l’ancienne. Personne ne savait où était passé le directeur de Poudlard. Certains disaient qu’il avait été enlevé. D’autres qu’il avait rejoint le camp des traîtres. L’hypothèse la plus tangible, selon Emma, c’était qu’il s’était contenté de fuir. Qui ne l’aurait pas fait ? L’attaque des inferi avait marqué l’école. Plus personne n’osait s’aventurer dans le parc de peur de revivre le carnage. Plus personne n’osait regarder les morts en face, de peur de prendre leur place. Et puis, vu sa lâcheté légendaire, ça ne l’aurait pas étonné qu’on le retrouve dix ans plus tard à se la couler douce en Thaïlande.

« Gray, Emma. »
« Serdaigle, sixième année ? »

Elle acquiesça. La sécurité était devenue la préoccupation principale du nouveau directeur. Les sorties étaient encadrées et réglementées. Les élèves ne devaient pas se déplacer sans l’accord ou la compagnie d’un professeur. Toutes les excursions à Pré-au-lard avaient été annulées, et les hiboux étaient contrôlés. A la suite d’une longue négociation, Emma avait obtenu du professeur de sortilèges qu’il l’autorise à se rendre dans le parc. Elle avait même obtenu un mot, signé et contresigné qu’elle présenta à l’auror.

« Je vois… Ne sortez pas du parc et… »
« Et soyez prudente, je sais. »

L’auror, d’un air sérieux, acquiesça. Elle lui adressa un salut de la main et attendit de l’avoir dépassé avant de lever les yeux au ciel. Son soupir se givra dans l’air, elle sourit. Aubépine l’attendait, comme prévu, devant le portail. Depuis l’épisode des inferi, elles s’étaient rapprochées. Sûrement se doutait-elle de l’appartenance d’Emma aux maraudeurs, mais elle ne dirait rien. Ce qui n’était pas secret, en revanche, c’était le voyage à Londres d’Aubépine qui s’était terminé par une consécration. D’après ce qu’on disait, Aubépine de Séverac, la nouvelle héroïne de Poudlard, avait permis à la population londonienne de retrouver la magie. Emma, elle, se demandait bien comment elle avait pu se retrouver dans un merdier pareil. Elle avait tout de même accepté de partir à la recherche de l’objet magique qui serait caché à l’intérieur du château. Parfois, elle se demandait si tout ça n’était pas une vaste blague. Lorsqu’elle pensait au ministre qui organisait ces chasses au trésor grandeur nature, elle ne pouvait s’empêcher de sourire. Il y avait peu de chance qu’elle trouve quoi que ce soit. S’il y avait eu quelque chose à trouver, quelqu’un l’aurait forcément trouvé avant elles, il y a bien longtemps de cela. L’artefact aurait été vendu et revendu jusqu’à se perdre dans les greniers de sorciers peu méticuleux. En y réfléchissant bien, il aurait fallu un miracle pour qu’elle mette la main sur un objet aussi rare et aussi bien gardé. Et, malgré tous ses efforts, Emma ne croyait pas aux miracles.

Elles se rendent à la bibliothèque.

Elles se rendent dans la réserve.

Elles lisent la magie ancienne.

Chassait-elle des chimères, en partant à la recherche de cet artefact ? Jouait-elle avec le feu, en s’attaquant à des puissances bien plus fortes qu’elle ? Probablement. Pouvait-elle baisser les bras pour autant ? Certainement pas. Elle avait beau subir des moments de découragement très fréquemment, jamais au fond elle ne pourrait abandonner. Abandonner signifierait arrêter d’espérer, et ça n’était réellement pas dans ses habitudes. Elle devait continuer, avancer, vivre tout simplement, malgré le désespoir qui régnait dans l’école. Elle n’envisageait pas, dès lors, qu’elle allait quitter l’école, qu’elle allait ne plus supporter tout cela, qu’elle serait incapable de rester dans ces lieux qu’elle chérissait. Non, tout ce qu’elle savait, c’était qu’elle voulait sauver cette école malgré tous les malheurs qu’elle y avait vécu. Malgré tous les problèmes qu’elle pourrait avoir à affronter, malgré le coût que cela aurait de la défendre.

Alors elle et Emma firent ce que tout bon Serdaigle ferait quand il partait dans une recherche sans même savoir par où commencer : elles se rendirent à la bibliothèque. En plus de six ans, cet endroit n’avait pas déçu Aubépine une seule fois, il n’allait pas commencer maintenant, n’est-ce pas ? Elle le connaissait cependant suffisamment bien, malgré ses ressources insoupçonnées, pour savoir que rien ne l’aiderait dans les ouvrages accessibles à tous. Si la solution était sous leur nez, quelqu’un l’aurait trouvé bien avant, même involontairement. Probablement involontairement. Cette idée la faisait frémir : qui sait dans quelles mains ces informations auraient pu tomber, et ce que cela aurait pu donner ? Pas qu’elle n’ait confiance en le Ministre cependant, bien au contraire…

Persuadées de ne pas trouver leur bonheur dans les rayons communs, et ce malgré le risque de ce qu’elles allaient entreprendre, les demoiselles tentèrent le tout pour le tout en se dirigeant vers la réserve, où elles seraient le plus à même d’obtenir des indices, une piste sur le chemin à prendre. La bibliothécaire, occupée à jeter dehors un élève dissipé qui s’apprêtait à lancer une farce sur une autre élève, ne prêta même pas attention à elles, et elles purent s’y introduire discrètement… Pour confronter une infinité de livres, dans tous les rayons qui se dévoilaient à elles. Cependant, trois attirèrent leur attention. Quoi de mieux, pour trouver des informations sur un objet plusieurs fois millénaires, que Les artefacts magiques au cours des siècles, La magie ancienne et Les aspects temporels de la magie ?

De toute évidence, cependant, il serait dangereux de mettre des informations dans un livre parlant des artefacts, s’il n’était pas souhaité qu’il tombe entre toutes les mains. C’est pourquoi elles ouvrirent celui sur la magie ancienne, qui leur apprit qu’il se dissimulait à l’abri de tous les regards et donc probablement pas dans la réserve… Ca n’était pas une grande nouvelle, il était évident qu’il était soigneusement dissimulé, mais elles n’obtiendraient probablement pas une meilleure aide des livres, et se dirigèrent vers l’antichambre.